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lundi 20 août 2018

«L’intestin influe sur l’ensemble de notre comportement»

«L’intestin influe sur l’ensemble de notre comportement»

«L’intestin influe sur l’ensemble de notre comportement»
INTERVIEW - Auteur d’un livre à succès sur l’intestin, Giulia Enders explique les incroyables pouvoirs de cet organe injustement sous-estimé.
Elle a tenu la première place des best-sellers pendant plus d’une année avec son livre Le Charme discret de l’intestin. Tout sur un organe mal aimé.. . paru aux Editions Acte Sud. À cause d’une maladie de peau, Giulia Enders a découvert les pouvoirs de l’intestin sur l’organisme, son lien avec le cerveau et décidé de le raconter simplement. Et selon elle, l’aventure n’est pas terminée.
LE FIGARO. - Au regard de votre propre livre et de nombreuses publications scientifiques, on a l’impression que l’on découvre seulement maintenant l’importance du ventre, et plus particulièrement des intestins. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps?
Giulia Enders, auteure du «Chrame discret de l’intestin. Tout sur un organe mal aimé...» (Editions Acte Sud).
Giulia Enders - Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que, tout comme la plupart des gens, les chercheurs pensent que ce n’est pas la chose la plus chic sur terre que de se vanter de faire de la recherche sur ce qui touche de près aux selles! Mais en plus de cela l’intestin est un organe extrêmement complexe. Il est composé aux deux tiers de cellules immunitaires, il abrite un système nerveux indépendant - le deuxième plus important dans le corps humain après le cerveau… Ajoutez à cela des milliards de bactéries, ce qu’on appelle le microbiote, équivalent à un poids d’environ deux kilos, et tout cela participe au bon - ou au mauvais - fonctionnement de notre système digestif. Il y a plus d’une vingtaine d’hormones uniques dans l’intestin et tout un tas d’autres choses que les chercheurs sont encore en train de découvrir… Alors comment voulez-vous faire de la recherche spécifique sur un point aussi central, aussi important et fondamental pour l’ensemble du corps? Pendant très longtemps cela était très difficile, voire totalement impossible, faute de moyens adéquats, d’étudier avec la rigueur scientifique nécessaire les organes qu’abrite notre ventre. Heureusement, les progrès techniques ont récemment permis d’aller plus loin, notamment sur la question des bactéries et l’interaction entre le cerveau et l’intestin. Les neurosciences sont en train de repousser beaucoup de barrières dans ce domaine. C’est finalement une concomitance de nouveaux moyens et d’un nouveau champ d’intérêt qui a entraîné la multiplication des recherches et la curiosité du grand public.
En l’état actuel de nos connaissances, peut-on dire que l’intestin assume réellement le rôle d’un deuxième cerveau, comme on le trouve écrit partout aujourd’hui? Le ventre est-il en train de devenir plus important que notre matière grise?
Le cerveau est et sera toujours le gestionnaire de l’ensemble du fonctionnement de notre organisme. L’intestin, cependant, est un conseiller très important pour lui, une sorte d’informateur si vous voulez! Notre cerveau a une vie très isolée, dans un crâne osseux entouré de couches épaisses de protection qui filtrent chaque goutte de sang avant que celui-ci puisse pénétrer. Mais le cerveau a besoin d’informations pour savoir comment le corps interagit avec son environnement, comment l’estomac et les intestins assimilent tel aliment, de quel complément il a besoin ou, en cas d’un intrus trop agressif ou toxique, comment bloquer la digestion et - pourquoi pas - rejeter le tout rapidement, soit en vomissant, soit par une diarrhée aiguë. Désolé, mais c’est ainsi que ça se passe. Et le plus incroyable, c’est que vous n’avez pas besoin de réfléchir à tout cela. Vous ne contrôlez pas grand-chose et même si, pour des raisons psychologiques ou autres, vous empêchez ces mécanismes de se mettre en place, cela n’est au final pas bon pour l’organisme. Donc pas de doute, le cerveau reste le patron. Lorsque vous étudiez l’activité du nerf qui relie l’intestin et le cerveau, le nerf vague, vous constatez que 90 % des informations vont de l’intestin au cerveau et pas l’inverse.
«Certains probiotiques peuvent influer sur l’humeur et le bien-être.»
Pouvez-vous nous résumer les dernières découvertes qui prouvent l’importance de l’intestin dans notre équilibre physiologique et psychologique?
Beaucoup d’études sont très intéressantes. Aujourd’hui nous constatons que les personnes atteintes d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin, par exemple, ont un risque plus élevé de souffrir d’anxiété ou d’être sujettes à un état dépressif que dans le cas d’autres maladies chroniques. Nous constatons également que certains probiotiques, des bactéries conseillées au départ pour retrouver un bon équilibre du système digestif et du microbiote (particulièrement après un traitement aux antibiotiques), peuvent influer sur l’humeur et le bien-être. Des chercheurs et des médecins ont donc eu l’idée d’utiliser des probiotiques, que l’on appelle du coup psychobiotiques, pour améliorer l’état de ces patients. Des bactéries digestives comme Bifidobacterium infantis, Lactobacillus helveticus et Bifidobacterium longum produisent des substances qui agissent sur le cerveau. Elles fabriquent de la sérotonine et de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA), deux neurotransmetteurs qui interviennent dans le contrôle de l’humeur. Ces psychobiotiques ouvrent donc la voie vers de nouvelles méthodes de traitement des maladies comportementales. Les tests, je crois, sont assez encourageants. Mis à part cet aspect que je trouve particulièrement intéressant et qui prouve à quel point l’intestin influe sur l’ensemble de notre comportement, d’autres grandes découvertes ont aussi été réalisées concernant le poids, les problèmes d’obésité, les maladies inflammatoires ou les allergies.
Comme vous le disiez précédemment, cela part un peu dans tous les sens. Que savent les scientifiques au sujet du microbiote et quelles grandes découvertes espèrent-ils encore dans ce domaine?
Vous allez penser que je ne suis pas objective car totalement fascinée par cette incroyable usine à nourrir et à recycler des déchets, mais je pense que nous sommes face au grand enjeu médical de notre temps! Un peu comme démêler le génome humain l’était il y a quelques décennies. Cela signifie que nous allons continuer à faire de grandes découvertes dans ce domaine, mais qu’il faut aussi faire attention à la façon dont cela est transmis au grand public. Il ne faut pas créer de faux espoirs et laisser croire que tout est «microbiote», comme on a pu dire que tout était «génétique». Il faut rappeler aux gens que presque tous les processus du corps sont influencés par de multiples facteurs: la génétique, notre environnement, ce que nous mangeons, etc. - le microbiome (l’ensemble des génomes des bactéries colonisant l’organisme, ndlr) n’est qu’un nouveau facteur dans cet ensemble. Et nous sommes tout à fait au début de découvrir à quel point il est vraiment important. En revanche, la bonne nouvelle, c’est qu’il pourrait être beaucoup plus facile d’influencer l’intestin que notre génétique!
40 milliards de bactéries de 1000 espèces différentes peuplent nos intestins.
Ces bactéries de notre intestin semblent également importantes pour la rapidité de l’esprit, le système immunitaire et aussi l’attraction sexuelle! Comment cela est-il possible?
Nos bactéries produisent énormément de substances chaque jour. Beaucoup d’entre elles nous aident. Elles nourrissent nos cellules intestinales. Elles les protègent des invasions étrangères ou régulent nos gènes pour mieux s’adapter à notre environnement. Nous absorbons en fait une quantité considérable de choses qu’elles produisent et cette production passe dans notre sang, s’immisce dans l’ensemble de nos systèmes sanguin, nerveux, digestif… Il serait assez naïf de penser que cela n’a aucune influence sur nous en aucune façon…
Les antibiotiques sont-ils plus dangereux que prévu pour nos intestins?
Là aussi il faut mettre, je pense, un peu de nuance dans tout ce qui circule. Dangereux est un mot difficile à associer aux antibiotiques. Ils ont littéralement sauvé nos vies chaque jour et permis à plusieurs générations de vivre en bonne santé bien plus longtemps. Beaucoup d’enfants mourraient d’infections tout simplement si nous n’avions pas d’antibiotiques. Donc, non, ils ne sont pas «dangereux» de cette façon… En revanche, ils ont des conséquences plus importantes sur notre organisme que nous l’avions imaginé jusqu’à présent. Il faut comprendre que tous les microbes ne sont pas nocifs. Leur présence permet d’organiser notre défense immunitaire. Ainsi nous échangeons des microbes qui nous protègent habituellement. Nous en avons hérité certains de nos mères et même de nos grands-mères! Ils sont au final nécessaires à notre survie. Que les antibiotiques les détruisent n’est au final pas une très bonne chose. Cela explique pourquoi tant de microbiologistes sont agacés quand les gens demandent des antibiotiques pour traiter un simple rhume en hiver. Les rhumes sont habituellement causés par des virus, pas par des bactéries… c’est donc généralement un mauvais choix pour l’organisme que de proposer un tel traitement.
L’abus d’antibiotiques a des conséquences non négligeables sur la flore intestinale.
Est-ce notamment ainsi que l’on pourra combattre la résistance aux antibiotiques?
Oui. Le premier conseil, et le plus important, est celui-ci: ne prenez pas d’antibiotiques quand cela n’est pas nécessaire! Si les symptômes paraissent identiques à ceux d’un rhume classique et que vous ne souffrez pas de pathologies particulières pouvant entraîner des risques de complication, faites confiance à votre système immunitaire. Si les symptômes vous paraissent un peu particuliers, alors une visite chez le docteur s’impose!
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer qu’il existe une forte corrélation entre certains troubles cérébraux et intestinaux?
Cela me paraît possible car l’intestin est le seul organe dans notre corps qui possède des cellules nerveuses similaires à notre cerveau et en si grande quantité. Les intestins possèdent également toute une cohorte de messagers chimiques, de matériaux d’isolation cellulaire et de types de connexion. En biologie du développement, nous constatons aussi que le système nerveux de l’intestin est la première étape pour développer le système nerveux dans le cerveau.
Vous abordez également dans votre ouvrage des sujets extrêmement concrets, notamment des habitudes à prendre comme la façon de s’asseoir aux toilettes. La position que l’on adopte est-elle donc si importante pour notre bien-être et notre équilibre psychologique?
Bien sûr, cela n’a pas, je pense, de véritable impact sur le cerveau! En revanche, les conséquences sont indéniables dans la vie quotidienne. C’est une question d’ergonomie et de bien-être. Si nous nous asseyons sur les toilettes comme sur une chaise, cela rend plus difficile le fait d’aller à la selle dans de bonnes conditions. Nous avons des muscles supplémentaires qui se resserrent dans cette position. Alors que tout est plus facile si vous mettez vos pieds sur un petit tabouret! Cela diminue la résistance. Les gens s’amusent de cela dans mon livre, mais je vous assure que cela n’a rien d’anecdotique!
Sommes-nous vraiment ce que nous mangeons?
De quoi pensez-vous que nos cellules sont composées? Nous sommes évidemment ce que nous mangeons, comme nous sommes ce que nous respirons. Il est amusant d’ailleurs de constater que l’ensemble de l’appareil respiratoire se construit à partir du diverticule respiratoire, qui dérive de l’intestin primitif antérieur à la quatrième semaine du développement du fœtus. Les poumons sont en quelque sorte des tripes pour les aliments gazeux!
Certains aliments favorisent l’activité des bactéries intestinales, comme les artichauts.
Pour poser la question autrement, quelle nourriture est bonne pour notre estomac, pour notre système digestif et, au final, pour notre santé?
J’ai un avis assez personnel là-dessus depuis quelque temps. Je crois qu’il est important de manger avec plaisir et goût et non en suivant les tables de la loi du «bien manger», qui sont assénées par beaucoup de personnes différentes et qui finissent par être contradictoires. Il est utile de connaître son corps, de savoir l’écouter… En tenant compte du fait que notre intestin et notre cerveau adorent le gras et nous incitent à en consommer. Ensuite, il faut savoir faire la part des choses face à la production alimentaire moderne.

<i>Le Charme discret de l’intestin</i>, Giulia Enders, Actes Sud, 350 p., 21,80 €
Elle lance des messages d’envie qui ne sont pas toujours équivalents à la qualité des produits vendus. Heureusement, il y a aussi des aliments très sains que nous pouvons désirer!
C’est le cas de certains aliments prébiotiques qui favorisent la croissance ou l’activité des bactéries intestinales bénéfiques à notre santé (deux prébiotiques courants sont l’inuline, que l’on trouve dans les racines de chicorée ou l’artichaut, et les fructo-oligosaccharides, ou FOS, présents entre autres dans l’ail, l’oignon et la banane, ndlr). Le riz froid, par exemple, et toutes sortes de grains et de légumes appartiennent à ce groupe. Tout le monde peut essayer et voir par soi-même ce qui correspond à ses goûts.

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