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lundi 20 août 2018

Microbiote intestinal,entre espoirs et promesses

La flore de nos intestins,riche de 100.000 milliards de bactéries, est maintenant considérée comme un organe à part entière.

Les antibiotiques sont parmi les avancées médicales majeures du XXe siècle. Et paradoxalement, ce sont peut-être les bactéries qui permettront à la médecine du XXIe siècle de faire des progrès considérables. Le développement fulgurant des techniques de séquençage génétique ces dix dernières années a remis au centre des préoccupations scientifiques des micro-organismes jusqu'ici délaissés: les 100.000 milliards de bactéries de la flore intestinale.
Obésitédiabètemaladie de Crohn mais aussi dépression ou troubles du comportement alimentaire pourraient être liés à un déséquilibre de cette flore, ou dysbiose. Le microbiote intestinal est aujourd'hui considéré comme un organe à part entière, les millions de gènes exprimés par ses bactéries seraient pour l'homme un «second génome», et certains n'hésitent plus à parler des intestins comme d'un deuxième cerveau.
Séquençage du métagénome
Plus de 4500 articles scientifiques ont été publiés sur le microbiote intestinal, et il en sort de nouveaux chaque mois. Les experts de cette jeune discipline de recherche se réjouissent d'un tel dynamisme, comme du soutien apporté à certains projets par l'industrie agroalimentaire. Mais ils soulignent également l'importance d'une meilleure standardisation des protocoles de recherche et la nécessité de tempérer certains espoirs thérapeutiques, parfois exagérés.
L'intérêt pour le microbiote intestinal s'est mué en véritable engouement quand, en 2004, l'équipe de Jeffrey Gordon a montré que certaines bactéries intestinales contribuaient au développement de l'obésité. Une décennie plus tard, il n'y a pas encore de perspective thérapeutique mais les recherches ont avancé, notamment grâce au séquençage du génome des bactéries de la flore intestinale, le métagénome.
«En 2010, nous ne connaissions que 3,3 millions des gènes bactériens, nous en sommes aujourd'hui à 10 millions, précise Joël Doré, chercheur spécialiste du microbiote à l'Institut national de recherche agronomique (Inra). Nous savons maintenant qu'il existe un noyau métagénomique, très conservé entre les individus, et des gènes rares, presque uniques chez chacun d'entre nous.»

Microbiote atrophié

C'est la diversité de la flore qui aurait un impact sur la santé. «Le microbiote est plus souvent “atrophié” chez les personnes qui ont des taux de cholestérol élevé ou du diabète. Ce sont aussi celles qui répondent le moins bien aux régimes hypocaloriques», explique Joël Doré.
Une récente recherche menée à l'Unité Inserm 1073 de Rouen a montré que la bactérie Escherichia coli pourrait être impliquée dans certains cas de troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie, hyperphagie, etc.). E. coli produit une protéine, la ClpB, quasi similaire à la mélanotropine, une des hormones qui régulent la satiété. La réponse du système immunitaire contre la ClpB pourrait cibler du même coup la mélanotropine, perturbant ainsi la sensation de satiété et la prise alimentaire.
Des liens entre microbiote intestinal et d'autres troubles psychiques ont été évoqués. «Il y a eu quelques publications autour de l'autisme et de la dépression notamment», commente Jacques Schrenzel, responsable du laboratoire de bactériologie des Hôpitaux universitaires de Genève. «Mais il est très difficile de travailler sur ces maladies multifactorielles et complexes, pour lesquelles catégoriser correctement les patients pose un vrai problème.»

«Signature bactérienne»

Récemment, une équipe française de l'Inra a montré en collaboration avec une équipe chinoise qu'il existait une «signature bactérienne» associée aux maladies hépatiques, de la cirrhose au cancer. «Cette signature est d'autant plus robuste que le stade de la maladie est avancé», précise Joël Doré. D'autres travaux menés sur des modèles animaux suggèrent eux que certains cas de sclérose en plaques pourraient être favorisés par une perturbation du microbiote. «Tout ceci est très stimulant pour la recherche, mais il ne faut pas créer de faux espoirs chez les patients», souligne Joël Doré. «Nous pouvons constater des corrélations entre certaines “signatures” bactériennes et des maladies, mais il nous reste à comprendre comment cela fonctionne, quelle bactérie fait quoi et comment elles interagissent entre elles.»
Les patients atteints d'infection à Clostridium récidivante ont eux de bonnes raisons d'espérer. Une greffe de microbiote provenant d'un sujet sain pourrait les guérir. Une méthode de «transplantation fécale» testée par de plus en plus d'équipes dans le monde, qui suscite un réel engouement et pourrait être utile aussi dans la maladie de Crohn. «C'est une réelle avancée thérapeutique, commente Jacques Schrenzel. Mais pour que cette technique parvienne à s'imposer dans les prochaines années comme une alternative aux traitements médicamenteux, il faudra des résultats très solides et donc mener des études standardisées. Or, pour le moment, chacun “cuisine” un peu dans son coin.»

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