Les mystères de l’histoire russe : Le millet du Prophѐte, le kéfir et la prisonniѐre du Caucase
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Les mystères de l’histoire
russe : Le millet du Prophѐte,
le kéfir et la prisonniѐre du
Caucase
Il y a cent ans, les magasins de Moscou ont commencé à vendre une sorte de yaourt appelé kéfir pour lequel les gens étaient prêts à faire la queue. Le kéfir se vend aujourd’hui dans n’importe quelle laiterie mais c’était une boisson pour les élus jusqu’au début du XXe siècle.
Le kéfir se fabriquait à base de lait de vache fermenté aux champignons de souche « kéfir », un mélange de plusieurs variétés de micro-organismes bons pour la santé. Certes, il n’y avait aucun problème avec le lait mais par contre le champignon se laissait mal élever en laboratoire. Son secret était détenu par les peuples du Caucase du Nord, les Karatchaïs et les Balkars, mais ils le gardaient jalousement. Dans ces conditions, les nobles russes fortunés étaient obligés d’entreprendre un long et périlleux voyage au Caucase du Nord.
Les locaux appelaient le champignon à kéfir le millet du Prophète. A en croire la légende, Mahomet a remis ces boules jaunâtres en don aux montagnards du Caucase et leur a appris à préparer la boisson aux vertus curatives sous le nom de kéfir. La recette était bien simple : le lait était versé dans une outre et on y ajoutait le champignon. L’outre remplie et bien nouée était laissée au soleil devant la maison et tout passant pouvait lui donner un coup de pied. Il manifestait ainsi du respect pour le maître du kéfir parce que ce traitement facilitait la fermentation. Les montagnards tenaient beaucoup à ce champignon et ne l’offraient ni ne le vendaient à personne. Selon eux, dans ce cas, le champignon perdrait son pouvoir magique. Ceux qui osaient se séparer du « millet » du Prophète devaient se préparer aux grands malheurs.
Nikolaï Blandov, grand laitier de Moscou a décidé en 1908 de se procurer chez les montagnards le magique « millet du Prophète ». Il a confié cette mission à son assistante Irina Sakharova. Agée de 20, Irina était belle et avait plus d’une corde à son arc. Un an plus tôt, c’est elle qui avait reçu la médaille d’or de l’exposition internationale à Paris pour la recette originale du beurre. Blandov a envoyé Irina chez le prince karatchaï Baïtchorov, le plus grand fournisseur du lait et des fromages au Caucase du Nord dans l’espoir que cette jeune beauté allait charmer le Caucasien récalcitrant et le convaincre de vendre le champignon tant convoité. Le prince a reçu la jeune fille avec une hospitalité toute caucasienne, ne tarissait pas en compliments et promettait d’honorer le moindre de ses désirs. Pourtant, il changeait habilement de sujet dès lors qu’il s’agissait du champignon à kéfir. Irina faisait le tour des villages en tentant d’acheter le « millet du Prophète » chez les montagnards mais ceux-ci étaient intraitables.
Un jour Sakharova se dirigeait à Kislovodsk en compagnie du gérant d’une laiterie Vassiliev. Soudain des coups de feu retentirent et des cavaliers masqués de noir entourèrent le phaéton. L’un d’eux saisit Irina, la mit en travers de selle et fonça au galop en direction des montagnes. Les cavaliers amenèrent la jeune fille apeurée à la maison de Baïtchorov. Après avoir galamment présenté ses excuses pour la veille tradition des montagnards habitués à voler les fiancées, le prince la demanda solennellement en mariage. Mais la jeune beauté russe pragmatique n’apprécia pas du tout l’élan romantique de Baïtchorov : elle voulait non pas son coeur mais le champignon à kéfir. Le prince s’emporta et la jeune fille rétive fut sauvée in extremis par les policiers amenés par le compagnon d’Irina Vassiliev. L’affaire fut portée devant la justice mais personne ne voulait de scandale et le juge a proposé aux parties de se réconcilier. « Je peux pardonner le prince à une condition, - déclara la demoiselle. – Qu’il m’offre le champignon à kéfir ». Le prince accepta l’offre et envoya le lendemain des champignons à kéfir et un énorme bouquet de fleurs magnifiques. Irina rentra à Moscou et se consacra à la fabrication de la boisson. Ce sont les patients de l’hôpital Botkine de Moscou qui reçurent le premier lot de kéfir et en 1913, la boisson fit également son apparition dans les laiteries de Moscou.
Nous ne savons, malheureusement, pas grand-chose sur la vie d’Irina Sakharova. Elle se maria, mit au monde un fils et une fille, travailla longuement dans une entreprise laitière de Moscou et décéda dans les années 1970. C’est pour cette raison qu’en achetant aujourd’hui un emballage de kéfir, nous ne nous souvenons pas de cette femme charmante et très courageuse à laquelle nous devons cette excellente boisson.
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